Être ou ne pas être

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Un flot de paroles a noyé les quelques minutes de silence observées en hommage au silence qui s’est abattu pour toujours sur Frédéric Boisseau, Franck Brinsolaro, Cabu, Elsa Cayat, Charb, Philippe Honoré, Bernard Maris, Ahmed Merabet, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Tignous et Wolinski.

Devant la réprobation de quelques lecteurs qui s’étonnaient de mon indifférence et de la poursuite de l’activité de ce blougui et de son regard sur le monde, j’ai dépublié le billet de jeudi consacré au Sri Lanka, où le scrutin présentiel a vu la victoire de l’outsider Maithripala Sirisena, avec 51,28 % des voix, contre 47,58 % pour le président sortant, Mahinda Rajapakse. Pour ceux que ça intéresse…

Et j’ai laissé un écran noir. De recueillement.

Hier aussi, je me suis tu.

Aujourd’hui, je reprends timidement le clavier.

Pour essayer de dire que…

Je suis horrifié et écœuré de l’immonde attentat qui a tué 12 personnes sans autre motivation que la haine ou la connerie.

Mais que…

Je ne suis pas Charlie.

Quand je tape cette phrase dans le moteur de recherche qui lui “est” Charlie depuis jeudi, après avoir arboré un discret ruban noir dès mercredi, je suis horrifié de la haine que je lis. Des soutiens à la connerie brutale ou à la violence assassine. Et je m’éloigne de cette mouvance nauséabonde des “je ne suis pas” d’où n’émergent que quelques textes intelligents ou déclarations courageuses.

Mais je ne parviens pas à joindre ma voix au concert presque unanime des “Je suis Charlie”. Faut-il encore une fois choisir son camp camarades ? Être ou ne pas être sans autre alternative ?

Au nom de la liberté que tout le monde entend défendre depuis mercredi, laissez-moi le droit de ne pas être Charlie et d’être abcdetc.

Dessin Yves Barros

Et pour éviter toute interprétation hasardeuse, tout amalgame avec des personnes infréquentables, toute suspicion de je ne sais quel extrémisme, toute remarque sur mon intolérance, etc. je ne dirai que ce que j’ai déjà dit par ailleurs, mais qui demeure une idée à laquelle je reste profondément attaché. À savoir que toute identification aux victimes me paraît compromettre la possibilité de la justice, que l’empathie n’est pas l’assimilation et que la tendance des médias, des communicants, des manipulateurs d’opinion à nous impliquer “personnellement” nuit à notre réflexion… personnelle.

Je ne suis pas plus Charlie que le père des 276 lycéennes enlevées par Boko Haram en mai dernier, celui des 3 enfants morts devant une école juive de Toulouse en mai 2012, ou des gamins pris en otage à la maternelle de Neuilly en mai 1993.

Sinon, j’espère que l’unité nationale à laquelle on assiste depuis mercredi, pour défendre nos valeurs républicaines et notamment la liberté, se poursuivra longtemps encore pour la défense aussi de notre égalité et de notre fraternité bien mal en point.

Lundi, je retourne regarder le monde.

Sinon, si on n’avait pas eu la tête à autre chose, jeudi Elvis Presley aurai fêté ses 80 ans…