La Côte d’Ivoire m’aura fait taire.
Non pas que j’ai été bâillonné par une quelconque police, ni censuré par une autre, ni même intimidé par je ne sais quelle autorité.
En fait si, je sais quelle autorité ou quel pouvoir. Et je sais aussi quelques racines de la question du silence, qui n’a pas que des raisons techniques d’une connexion Internet défaillante et d’un portable à la batterie capricieuse. J’en parlerai plus tard. Peut être. Ou pas.
Bref.
Venons en à ce que j’en ai qu’en pensé.
Samedi soir, c’était fête à l’Hôtel Tereso de Grand Bassam. Pour l’occasion, les tables avaient été déplacées autour de la piscine et nous avons eu… le même menu que d’habitude : crudités en quantité de plus en plus réduite puisque de moins en moins de personnes s’y aventurent par crainte de voir revenir maux d’estomac, brouilles intestines et autres marathons (une jolie manière de parler de courante, suggérée par une collègue blogueuse). Crudités donc, riz, pommes de terre presque sautées, attiéké, poisson ou poulet. Un véritable festin dont la répétition midi et soir depuis une semaine – avec juste quelques variations des crudités susmentionnées et entre attiéké et alloco – révulsent même le regard de certains, le cadre aquatique – piscine et bord de mer – parvenant à peine à faire une certaine diversion.
Après ce banquet d’adieux (certains des blogueurs repartant le dimanche), le directeur de l’hôtel avait décidé de nous offrir un spectacle. Le lever de rideaux fut assuré par Richard, venu nous chanter une chanson locale, un peu nostalgique, avant que ne lui succède, Shirley, la fille du directeur en personne, qui du haut de ses 10 ans rendit à Bob Marley un hommage qui le fit peut être sursauter dans sa tombe.
Après ces mises en appétit, auxquelles il faut ajouter le défilé de quelques ressortissants des nationalités représentées dans notre équipe de 70 blogueurs, vint le spectacle proprement dit : la troupe Afrikaba Danse, emmenée par Aka Kpalezo, nous proposa ses danses traditionnelles sur rythmes de percussions typiques. J’aurais pu mettre des guillemets à ces deux adjectifs, mais mes connaissances ethnologiques ne m’autorisent pas à douter de l’authenticité de ce qui nous fut donné à voir et à entendre. Peut être même la présence blanche en spectateurs de ces démonstrations tellement pittoresques font-elles désormais partie de la tradition elle même. De loin, vu de l’autre côté de la piscine, le spectacle m’a évoqué Les Bronzés (qui fut paraît il tourné pas loin d’ici…) mais je ne serai pas non plus catégorique sur ce point, pour cause de méconnaissance « cinématographique » d’un film que je n’ai jamais réussi à regarder jusqu’au bout, même dans mes périodes de dépression les plus graves.
Ni ethnologue, ni populo-cinéphile. Que me reste-t-il pour dire ce que j’en ai qu’en pensé ?
Toujours ma sensibilité. Mise à dure épreuve depuis dix jours. Pas seulement du côté physique, mon corps de cinquantenaire résistant finalement presque mieux à la fatigue que mon imagination d’enfant ne me l’avait fait craindre. Mais du côté des sensations, des perceptions, des impressions qui me traversent et se (me) bousculent. Sur les contrastes entre ce que je connais et ce que je découvre, comme ceux entre les habitants de ce continent et ses visiteurs.
Parler ici des racines du silence ? Il me faudra sans doute plus de temps pour que jaillissent les mots justes au terme d’une pensée sinueuse.
J’en qu’en pense que, juste pour répondre à la question qui me fut posée après le spectacle, que dans les pensées sinueuses, chemine la question sur les racines – non du silence mais de la culture -, sur le regard, sur les échanges, le partage, sur les relations entre les habitants, qu’on nommait autrefois indigènes, et les « visiteurs », qu’on n’appelle plus colons mais dont la définition m’échappe encore dans un méandre de pensée.
J’en qu’en pense que le métissage du monde reste à accomplir et que les cultures dominantes n’en ont pas fini d’exercer leur pouvoir.
J’en qu’en pense que j’espère que les racines restent vives et que les danses que j’ai vues, que les rythmes sur lesquels mon corps oscillait lentement, berçant mes pensées sinueuses, ne sont pas que folklore mais portent encore une vitalité. Peut être assez pour que la danse qui libère de tout ce qui pèse, au cours de laquelle une danseuse nous versa du talc dans les mains en nous invitant à nous en frotter pour lui ressembler dans sa blancheur poudrée, que ce rituel ait assez de sens pour peut être me libérer d’une certaine tristesse, apaiser une mélancolie familière, consoler une nostalgie qui ne sait pas toujours où elle s’attache…
J’en qu’en pense aussi que si j’arrête de penser ce que j’ai vu danser et jouer était beau…
J’en qu’en pense enfin que j’espère que le bonheur existe.
Les danseurs et danseuses, percussionnistes et autres avaleurs de feu de la compagnie Afrikaba danse nous laissèrent finir la soirée sans eux.
Au détour d’une allée, j’ai croisée Aka Kpalezo, qui m’apprit que son nom ne s’écrivait pas comme celui d’une ville de banlieue parisienne et qu’il signifiait littéralement « l’espace où l’on trouve tout ».
Je l’ai reçu comme un signe, un clin d’œil. Et je suis allé profiter de quelques musiques de ce continent encore assez authentiques à mes oreilles et à mon corps de blanc, pour aller danser sur chaque temps de percussion comme j’aime à le faire, bouger jusqu’à entrer dans le son, laisser vivre ce corps jusqu’à son épuisement. Sentant fugitivement me traverser une impression de bonheur.
Lorsque l’infâme style gnangnan a retenti dans les enceintes, j’étais assez noyé de sueur pour abandonner. J’espère que le bonheur, lui, ne m’a pas abandonné.
(photos : Afrikaba Danse)
* Lors d’une interview télévisée, à la question « Qu’en pensez-vous Monsieur le Ministre ? », un ministre togolais aurait répondu jadis : « J’en qu’en pense que… »
Parmi les musiques qui m’ont fait chavirer dans la danse, j’ai retenu et retrouvée celle-ci :
J’en pense qu’en côte d’ivoire tu n’as pas perdu ton style malgré l’inévitable tourista…
J’en pense qu’en réalité tu vas avoir longtemps le souvenir de l’Afrique. Ça chaleur moite, ces contrastes de bonheur et de malheur, cet accueil chaleureux même des plus malheureux, cette joie de vivre et de danser quoi qu’il arrive, et bien sur aussi ce riz toujours bien épicé qui tente de colmater un peu les choses inévitables pour nous les touristes.
J’en pense qu’en définitive tu n’oublieras pas non plus de si tôt tous les mondamiblogueurs que tu as pu enfin rencontrer… 🙂
J’en pense qu’on commençait à languir, mais peut-être était-ce calculé pour que l’on approche un rythme lointain, langueur langoureuse ??
J’ai tout un wagon d’avis contrastés sur les voyages, leur artifice inéluctable, leurs vibrantes émotions, leur petit rien qui fait que l’on ne rentre pas comme on est parti…et pourtant !