“Vouloir être de son temps, c’est déjà être dépassé.” Eugène Ionesco
Je sais, j’ai déjà utilisé la citation du jour en exergue, mais elle colle si souvent bien avec l’actualité.
Alors que tant de mes collègues médiatiques sérieux (?) sont à Cannes pour le 70e festival, je reste devant mon ordinateur pour tenter de suivre le fil.
En entendant parler de la sélection cannoise, j’ai été un peu surpris (et inquiet) d’apprendre que deux films de la sélection, produits par Netflix, n’étaient pas destinés à une projection en salle mais à une diffusion sur internet.
Sur le sujet, le communiqué de Pedro Almodóvar, président du jury de ce festival de … cinéma, m’a réjoui :
“Je ne crois pas que la Palme d’or ou n’importe quel autre prix devrait être décerné à un film qui ne sera pas vu sur un grand écran.”
Je me suis senti moins seul à être réactionnaire. Traduire : capable de réagir à l’air ambiant.
Pour justifier sa prise de position, Almodóvar a défendu une certaine idée du cinéma où “l’écran doit être plus grand que le siège sur lequel on est assis”. C’est un peu limitatif.
En ce qui me concerne, l’écran de l’ordinateur sur lequel je vous écris, est plus large que la chaise installé devant. Pourtant, je sais que ce n’est pas l’endroit idéal pour voir des films.
Dimanche dernier, par exemple, je suis allé voir Huit et demi (l’un des quatre films qui valurent à Federico Fellini de recevoir l’Oscar du meilleur film étranger avec La Strada, Les Nuits de Cabiria et Amarcord), dans la belle grande salle de la grande ville voisine, qui appartient au même type qui fait entrer l’internet à Cannes. J’avais renoncé à regarder la version téléchargée sur mon ordinateur et je n’ai pas regretté d’avoir attendu. Je me suis même demandé ce qui pouvait rester d’un tel film projeté (?) sur tablette…
Bref.
Pour accompagner ces réflexions, j’ai trouvé grâce à un confrère anglais, quelques images qui m’ont paru frappantes. Elles ont été créées par Jason Shulman qui s’est amusé à condenser quelques films en une seule image.
J’ai retenu, dans l’ordre chronologique et d’apparition sur votre écran: Le Voyage de la lune, Alice au Pays des merveilles, Huit et demi (encore), Dr Folamour, L’Évangile selon Saint-Matthieu, Mary Poppins, Playtime, Duel, Orange mécanique, The Rocky Horror Picture Show, Taxi Driver…
L’effet réducteur est encore accentué par le recadrage des images aux dimensions abcdetc maison. Mais anticipe peut être un avenir, que j’espère lointain, où l’on pourrait ingurgiter un film en quelques secondes, comme on nous propose déjà des versions condensées des classqiues de la littérature. Tout Fellini, Chaplin, Welles ou Godard en moins d’une journée. Ça laissera du temps de cerveau disponible.
Et puisque j’ai évoqué Godard, j’ai ajouté à la série de photos de Jason Shulman une image emblématique d’Adieu au langage, 47e (et dernier ?) long métrage du réalisateur franco-suisse et je ne résiste pas à partager avec vous quelques-unes de ses réflexions sur les profondes différences entre cinéma et télévision. Tout à fait adaptées à d’autres écrans.
“Le téléspectateur a oublié depuis longtemps que regarder un film à la télévision, ce n’est que regarder une mauvaise copie de l’original.”
“Le cinéma c’est de la pensée, la télévision c’est du discours.”
“La télévision fabrique de l’oubli. Le cinéma fabrique des souvenirs.”
Et cette dernière, qui définit la différence bien mieux que la taille de la chaise :
“Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse.”
Nous sommes dans une époque de tant de têtes baissées. Où l’on croit que l’on fonce (vers l’avenir, le progrès, la modernité, etc.) sans bien toujours réaliser que l’on se soumet.
Résistez… Allez au ciné !
(Photos : Jason Shulman)
Musique ?
Non, encore quelque images de Godard. Avec la bande annonce qu’il avait lui même composée pour Film Socialisme, avec une version … condensée. Encore un écho aux images du jour.
Le socialisme et le cinéma : quel avenir ?
À propos de cinéma dans le noir avec grand écran.
C’est en allant voir samedi dernier le film qui fait du bien (feel good movie) de Blandine Lenoir, Aurore, où la talentueuse Agnès Jaoui danse sur cette chanson, que j’ai (re)découvert Ain’t Got No/I Got Life de la toute aussi talentueuse Nina Simone.
J’ai appris depuis que cette chanson était en fait un mélange (medley) de deux chansons de la comédie musicale Hair.
Et je vous ai préparé cette mosaïque.
Avec :
- Nina Simone
- Un premier extrait de Hair réalisé par Milos Forman en 1979
- Un second extrait du même film
- Patrice
- Mika
- Julia Jiménez Hens et le World Mestizo Ensemble
- Une autre version de Nina Simone, sous-titrée pour que vous puissiez reprendre les paroles (cliquez pour agrandir la vidéo à la taille de votre chaise…)
- Lisa Simone, fille de Nina, qui prouve qu’on peut être enfant de … et néanmoins talentueuse
- Rosemary Standley accompagnée au piano par André Manoukian et enregistrée le mois dernier et qui prouve que la chanson traverse le temps avec panache…
Et pour ma part, malgré tout ce qui me manque, j’ai encore mes mots et quelque rage au cœur…