“Je voudrais m’insérer dans le vide absolu et devenir le non-dit, le non-avenu, le non-vierge par manque de lucidité.”
Léo Ferré, La Solitude
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Je ne suis pas toujours d’accord avec Léo Ferré, son pessimisme ou ses colères. Et ma solitude a tellement changé de teintes depuis que je suis revenu écrire ici. Et ailleurs aussi.
Mais si j’évoque aujourd’hui, avec un peu de décalage, cette fameuse lucidité et surtout le manque que nous pourrions en avoir, c’est que cette interpellation du manque m’est venue tellement naturellement, trop chargée d’évidence, en voyant la première photo que je partage avec vous aujourd’hui.
Une image en provenance du Yémen, d’une enfant dans un hôpital de l’ONU, où sa mère tente de la sauver de la faim en la nourrissant à l’aide d’une sonde et d’une seringue. Image tragique et dérisoire, qu’accompagnait une légende me rappelant que les Nations unies ont stoppé ou suspendu 16 programmes humanitaires dans ce pays, en guerre depuis plus de 6 ans maintenant.
Une photo surgie devant mon regard il y a 10 jours déjà. Et mon manque de mots justes alors.
Puis cette autre image, presque identique, prise par un autre photographe. Une semaine plus tard. Peut-être la même enfant : le regard semble identique, résigné, désemparé, perdu, vidé. Un regard loin de l’enfance. Peut-être la même mère. Dont on ne voit guère plus. Dont les ongles sont peints quand ils ne l’étaient pas. Infime différence.
Et la légende qui nous apprend cette fois que ce sont près de 100.000 enfants qui sont menacés de mourir de faim si…
Et de nouveau le manque.
Ce manque de moyens, ce manque de conscience. Et mon manque de mots.
Et la triste impression de notre indifférence. De notre humanité elle aussi confinée.
(Photos : Yahya Arhab, Khaled Abdullah)
En décalage.
Dans le temps, les sensations, les pensées, les mots, les colères et le pessimisme auquel je résiste avec juste ce que je suis. Et un peu d’aide.
La chanson du jour aurait pu illustrer un autre article, sur l’absence, les anges. Ou d’autres moments encore. Mais je n’ai fait la connaissance de Donna Taggart qu’aujourd’hui, en cherchant autre chose encore.
Et j’ai trouvé sa chanson assez douce pour accompagner l’espoir. Quand même !
Rien à ajouter, merci d’avoir mis des mots touchants ces derniers jours sur tout ça
je perds les miens et ils se mélangent … mais résister encore pour ne pas manquer l’essentiel
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A l’heure du grand virage vers le numérique (Merci qui ? Merci COVID)… porté par les courants ultra libéraux et ceux qui n’ont pas trop le choix que de se soumettre, regarder ces photos provoque la nausée en mon for intérieur…l’argent toujours dans les mêmes mains, le manque d’argent qui tue encore et encore …
Je pense à ces mots de Camus « Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime si ce n’est l’obstination du témoignage ? » et tes photos en sont un parfait exemple.
J’aurais souhaité mettre une image en opposition aux tiennes pour illustrer avec un triste humour, les énormes différences entre occident et une partie de l’orient… mais je ne sais pas comment, et s’il est possible, d’insérer une image dans les commentaires.
Globalement, l’image met en scène une famille autour d’un petit déjeuner ; tout le monde à le nez dans son portable et le père de dire : « Qui me passe l’application confiture ? » No comment…
Les ongles sont peints effectivement et les boucles d’oreilles que porte la petite fille sont, me semble t-il les mêmes. Sourires.
Il faudrait que je travaille (entre autres) à autoriser les images des commentateurs et trices …
Sourire